
By Charlène Draoui — october 2025
Il y a des existences similaires à un livre, page après page, sans jamais laisser présumer qu’un jour, la reliure pourrait se déchirer. Celle de Jean-Matthieu Gosselin a connu une rupture brutale, mais aussi une étonnante métamorphose.
Temps de lecture : 10 minutes

À l’obtention de son baccalauréat, Jean Matthieu quitte Rennes et grandit le regard tourné vers l’art. À l’école du Louvre, puis à la Sorbonne, il se forme à la muséologie et à l’histoire de l’art.
Le chemin semble tout tracé : celui des mots, des idées et des images. Journaliste, directeur éditorial, puis dirigeant de maisons d’édition en France, en Italie, en Espagne et au Mexique, il traverse l’Europe et le monde hispanophone en bâtisseur de récits et en passeur de culture.
Jean Matthieu a un attrait inextinguible pour la connaissance.
Et puis, en 2013, le temps se fige...
Un accident vasculaire cérébral le frappe, laissant son corps et sa vie soumis à l’incertitude.
I« Cet accident engendra une amnésie totale, une perte de la parole, de la lecture, de l’écriture et du calcul…»
Là où d’autres se seraient éteints, Jean-Matthieu Gosselin entreprend une reconquête de lui-même. Cinq années de rééducation obstinée au Centre Madrazo de Barcelone, cinq années de silence et de ténacité passées à réapprendre à écrire son nom et à se familiariser avec les gestes les plus simples.
Avant l’accident, Jean Matthieu détenait une maîtrise en histoire de l’art et en muséologie. Son expertise et ses connaissances lui valaient d’être reconnu et sollicité.
Après le choc, ce socle s’est effondré. Les connaissances accumulées, les repères et les souvenirs se sont évanouis.
« J’ai mis deux ans à réapprendre à écrire et à lire comme un petit écolier du CP.
J.M Gosselin
L’orthophoniste, qui est remarquable, m’a encouragé à réapprendre à partir de l’ouvrage —Los
cūentos de Graham Greene — au début, par morceaux de lignes, puis par petits paragraphes,
aujourd’hui je peux dire que Mireia et Graham m’ont sauvé ! »
Retrouver son Identité
La véritable valeur d’une personne réside dans sa capacité à continuer à se relever, à cheminer et à se réinventer.
Dans cette traversée de l’ombre, une lueur surgit : la photographie.
En 2015, cette discipline artistique apparaît sous la forme d’une thérapie, une manière de tisser un lien avec le monde. La lumière devient sa complice.

« Sur les conseils d’une psychologue, j’ai suivi une session de photothérapie, organisée par l’Ecole Photographique Grisart de Barcelone. Ce fut formidable ! »
Apprendre à tenir un appareil photo avant même de retrouver les mots. Voilà le chemin emprunté par Jean Matthieu Gosselin après l’accident vasculaire cérébral.
Dans ce silence imposé, il s’applique à composer des images. Puis, peu à peu, la parole revient, comme une seconde naissance. Mais déjà, le regard a changé : l’art devient une nouvelle langue maternelle.
Quand le langage se dérobe, l’image prend le relais. L’appareil photo devient une voix de substitution. Cadrer, déclencher, saisir la lumière : autant de gestes simples qui, soudain, redonnent une maîtrise sur le monde.
« Ce qui m’inspire et m’enthousiasme c’est de découvrir de nouveaux endroits, de nouvelles idées, des natures mortes, ou même des angles nouveaux pour me faire une nouvelle identité, une nouvelle mémoire.»
J.M Gosselin
En 2017, le directeur de La Escola Internacional de Photography, décèle son potentiel et le pousse à aller plus loin dans l’apprentissage. Il s’engage alors dans un cursus professionnel de deux ans à Barcelone.
« Je n’y croyais pas. A l’époque, je parlais mal et j’avais du mal à écrire. Pourtant, j’ai atteint mon objectif grâce au soutien de mes camarades de promotion, par un travail harassant, et avec le soutien de ma famille et de la psychologue.»
Jean Matthieu Gosselin est diplômé en « Photographie documentaire – narrative » et en « Vidéo ».
De l’édition à la photographie, de la parole écrite à la lumière saisie, cet homme a su transformer l’épreuve en création. Son parcours n’est pas celui d’une carrière interrompue, mais d’une renaissance : celle d’un homme qui, après avoir transmis les mots, choisit de partager des images.
« Andréa, Rafa Badia, Israël Ariño, sont des enseignants qui m’ont aidé avec une humanité exceptionnelle et qui ont compris mon problème sans jamais me le faire ressentir ! »


CHEMINER VERS LA GUÉRISON
Au-delà de l’aspect médical, la rééducation est un parcours de résilience où la personne doit réinventer son rapport au corps et au quotidien.
Quand le corps vacille et que la maladie impose ses limites, l’art devient un espace où la fragilité se transforme en force.
En quête de reconstruction, chaque image capturée est une victoire sur l’immobilité.
Quand un être est réduit à sa fragilité, il perd son identité sauf que l’art a le pouvoir d’inverser la perspective.
En exposant ses photographies, Jean Matthieu cesse d’être défini par ce qu’il a perdu pour être reconnu pour ce qu’il transmet. La sensibilité, le style, l’expressivité prennent le pas sur la faiblesse supposée. L’art devient alors un langage universel capable d’abolir la barrière du regard. Il n’est décemment plus question de compassion mais plutôt de reconnaître le talent.


Vivre l’œuvre comme une rencontre avec l’auteur
Ses trois premières expositions peuvent se lire comme les chapitres d’un récit intime, façonné par l’épreuve de l’accident vasculaire cérébral.
Chacune d’elles dialogue avec les cicatrices de l’AVC : la fragilité de la mémoire, la menace de l’oubli et la confrontation à la nuit.
En hommage à Natasha Trethewey, l’exposition Memorial Drive apparaît comme une route intérieure, un chemin de mémoire.
Cet ouvrage parle de l’existence et de ce qui peut la condamner comme un piège qui se referme.
À son récit, cette écrivaine construit du plein là où réside le vide et l’incomplétude.
La mémoire de Jean Matthieu s’est brisée en fragments, l’obligeant à recomposer son histoire.
Avec Before Memories Fade, l’urgence est encore plus palpable. Inspirée de la série de Toshikazu Kawaguchi, l’image n’est plus un simple souvenir, elle devient une preuve, une sauvegarde existentielle.


Not Dark Yet, inspiré par l’un des titres phares de Bob Dylan, place l’artiste dans une tension entre finitude et persistance. La nuit n’est pas encore tombée, la lumière résiste.


La mémoire cérébrale transmute en mémoire photographique, Jean-Matthieu Gosselin renverse la logique de la perte. Ses expositions proposent une méditation universelle sur ce qui nous échappe et sur la puissance de l’art.
« La photographie m’a donné une façon différente de voir le monde et m’a rendu beaucoup plus
J.M Gosselin
heureux en trouvant quelque chose de beau dans chaque petite chose, et de pouvoir partager
mon point de vue avec quelqu’un à travers la photo.
Dialoguer sans mots, par l’image, m’anime au quotidien.»
Certaines rencontres deviennent les jalons de notre propre évolution.
Deux photographes catalans, humanistes et très créatifs ont épaulé Jean Matthieu. Ivan Ferreres, photographe documentaire et de création multimédia, commissaire d’exposition imaginatif et Enric Montes, photographe et grand spécialiste de l’édition de livres photographiques.
« Enric m’a appris à tirer parti du pouvoir narratif des images pour créer des histoires, quant à Ivan, il m’a enseigné à travailler la photographie intime, le territoire et l’image subjective.»
Jean Matthieu est aspiré par le monde de la contemplation et de la compréhension objective. Il admire le photojournaliste français Marc Riboud, qui racontait le monde en images avec une humanité saisissante.
« Marc Riboud est pour moi une source d’inspiration ! J’ai une passion pour ses photographies, sa carrière, son évolution, c’est un immense poète de la photo ! Il a exploré la profondeur de la condition humaine à travers son objectif sensible et précis en invitant à la fois, à la contemplation profonde et à l’analyse.»

Du mur au festival : quand la photographie franchit un cap
Il y a en chacun de nous des rêves qui sommeillent, ces projets en suspens qui nous rappellent que nous ne sommes pas figés, ils entretiennent en nous, une énergie qui nous pousse.
Mettre en forme un projet, c’est exister !

Ce photographe souhaite exposer son travail « Il était une fois le visiteur de musée » dans le cadre d’un festival.
« Je travaille sur ce projet depuis cinq ans, j’aimerais exposer, non pas dans une galerie virtuelle en 3D, mais dans un festival ! »





EXPOSITION ET ENGAGEMENT
La 6e Biennale internationale d’art d’Andorre, baptisée L’ANDART 25, se tient jusqu’au 14 novembre 2025 à Sant Julià de Lòria, une paroisse située dans le sud du pays.
Sous le slogan « Pause pour continuer », L’ANDART 25 invite à une introspection collective sur des enjeux tels que l’urbanisation, les politiques publiques et la durabilité.
Plus de 80 artistes, locaux et internationaux, participent à cette édition, avec la participation spéciale du Liechtenstein en tant que pays invité, favorisant ainsi un échange culturel avec la principauté.
Dans le cadre de cet évènement, Jean Matthieu Gosselin présente un projet, réalisé à quatre mains avec le talentueux photographe Ullic Morard, intitulé : La memoria perdida ; un silencio de cuatro tiempos.
Chambre 211/ hôtel POL


Transmission et partage…
Photo Parallèle est une association co-créée en 2023 par Jean-Mathieu Gosselin et son ami, Ullic Morard. Leur mission est de donner la parole aux photographes dont le travail mérite d’être vu.
À travers des expositions en 3D, des blogs, des expositions physiques et différents projets photographiques, Photo Parallèle offre aux artistes un espace pour faire connaître leur travail, partager leur vision et faire évoluer leur pratique. L’association se veut un tremplin, permettant aux photographes de se faire entendre et de rencontrer un public plus large.
Jean-Mathieu Gosselin nous rappelle que les épreuves de la vie, aussi douloureuses soient-elles, sont des cadeaux mal emballés. Son accident vasculaire, loin de l’arrêter, l’a conduit à une rencontre inattendue avec la photographie, un art qui lui a permis de se réinventer, de redonner du sens à sa vie et de nourrir un feu intérieur immuable. La résilience, la volonté et la passion peuvent surpasser toutes les difficultés, parfois même, ce sont les épreuves qui nous révèlent à nous-mêmes.
Jean-Matthieu continue ainsi à avancer, appareil en main, comme un témoignage vivant que l’envie de vivre et de créer reste plus forte que tout.
Coin favori : La Presqu’île de Quiberon
Devise dans la vie : « Je n’aime rien. Je ne confirme rien. Je vis juste avec »
Merci Jean Matthieu Gosselin
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